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Vagar | Mars 2017, Lisboa - Portugal



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Vagar | Sept 2018, Ushuaïa - Terre de Feu



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Octobre 2019 - Arles | Des espaces autres, 2019 - Impressions sur dos bleu et impression fine art sous cadre et verre musée - Galerie Artsphalte, Arles





«L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ?» Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974. La relation que nous entretenons avec l’espace, pensé sous toutes ses formes, anime l’exposition «Des espaces autres» proposée par Matthieu Bertéa à la galerie Artsphalte. Grâce à des compositions patiemment élaborées, l’artiste brouille les notions de limites, lesquelles ne sont arpentées que pour mieux partager une expérience sensorielle et sensuelle.

“Des espaces autres” présente des lignes fluides ou des étirements de matières réalisés à l’aide d’un scanneur portable que Matthieu Bertéa transporte ici et là au fond de son sac à dos. Si Marseille est la ville qui l’a vue naître, l’artiste parcourt le monde à l’affût de textures à numériser. Malgré les regards parfois intrigués des passants, la méthode isolée de l’artiste est immanquablement romantique. Sa malice demeure d’abord dans le détournement d’un objet de bureautique, au départ rudimentaire, pour l’utiliser à des fins de créations. Il illustre astucieusement un renouement avec le geste artistique, voire artisanal, au temps de l’ère digitale. Et d’ailleurs, l’artiste touche. Le scanneur engage son corps en l’obligeant à se déplacer, à se courber ou à s’étirer et le pousse à caresser d’un geste son sujet, jusqu’à en épouser parfois le volume. Voici donc toute une gestuelle qui implique le contact, avant que l’artiste s’en aille en emportant avec lui, l’image aplanie de l’objet convoité. Enfin, puisque le scanneur lui permet de prélever des échantillons de toute sorte de choses — qu’il s’agisse d’une roche, d’un arbre, d’un mur ou autres — Matthieu Bertéa a aussi quelque chose de l’ordre de l’explorateur, comme ce scientifique qui ne s’intéresse au monde que par le biais des formes ou des matières. Il serait donc aventureux de décrire les visuels de l’exposition, car on ne saurait dire si l’on se trouve dans le macro-environnement ou aux tréfonds d’une chose organique ou non. À l’égard des images scientifiques issues des satellites en orbite ou des microscopes, le signal saute parfois de part et d’autre de l’image. Les matières se déploient en alternant des effets de transparence ou d’opacité, de substances granuleuses ou liquides, aériennes ou laviques, douces ou tranchantes. Quant aux formes, elles semblent capables de se mouvoir de manière autonome tout en libérant une énergie contenue et implosive. Elles prennent le contrôle et décident du format de l’image afin de mieux satisfaire leurs besoins d’étendues. Des entrelacs s’échappent, contaminent et circulent librement sur un fond sombre ou aveuglant qu’ils dominent. Par instant, ceux-ci se dessinent de façon aléatoire telles des particules électriques sans éléments conducteurs ou comme un liquide susceptible de coaguler. Mais les œuvres exhibent aussi des couleurs vibrantes qui alternent le flou et le net, parfois feutrées et parfois émaillées. Leurs effets sont propices à stimuler les nerfs et réveillent les quelques bribes de sens enfouis par la mémoire d’un ailleurs, à l’égard d’un crissement de sable ou d’un craquement de bois, du ressenti métallique du minéral ou de l’humidité fraiche de la terre. Avec des “Espaces autres”, Matthieu Bertéa réussit à élaborer un espace vide de signes pour ne donner forme qu’à des sensations et leur rendre leur volume : le scanneur n’offre pas l’image d’un souvenir, mais le souvenir de l’esthésie. Matthieu Bertéa crée des hétérotopies, ou autrement dit, «un espace d’illusion qui dénonce comme plus illusoire encore tout l’espace réel ».

La carte par exemple, seule pièce reconnaissable de l’exposition, n’est qu’un plan rétréci du monde, qu’un condensé de l’ailleurs et donc, de là où je ne suis pas. Aussi, et comme le remarquait Georges Perec, il demeure difficile d’imaginer un lieu sans objets pour le délimiter. Notre regard ne peut que balayer de gauche à droite, d’avant en arrière, sur des objets définis pour pouvoir construire un espace et retranscrire une illusion de relief. Pourtant, ce qu’il y a de déroutant avec les travaux de Matthieu Bertéa, c’est qu’il détourne ces pièges. Les limites ne sont que des alliées ou des compagnes de jeu. L’espace devient alors un doute. Il ne peut être ni accumulé ni conquis, mais le monde est «retrouvaille d’un sens, perception d’une écriture terrestre, d’une géographie dont nous avons oublié que nous sommes les auteurs. » [2] Par un regard plus simple et poétique, Matthieu Bertéa modèle les environs et offre un point de vue différent sur le monde. Son flegme naïf est déconcertant tant il nous renvoie à notre perception si biaisée, si petite, de l’espace. “Des espaces autres” permet non pas de voir notre environnement comme un non-sens, sans haut ni bas, mais permet de prendre conscience de sa porosité, de sa malléabilité ou de ses tensions et par voie de conséquences, de ses possibilités et sensibilités haptiques. Aussi bien sûr, le scanneur portable joue un rôle dans ces effets, mais reste à savoir dans quelle mesure, d’un point de vue autant factuel que philosophique.

[1] Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 2017
[2] Michel Foucault, Des espaces autres. Hétérotopies.[Conférence], 1967.


Rosanna Tardif, galeriste et historienne de la photographie contemporaine - exposition personnelle "Des espaces autres" à la galerie Artsphalte, Arles